Language of document : ECLI:EU:C:2004:307

Conclusions

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. ANTONIO TIZZANO
présentées le 18 mai 2004 (1)



Affaire C-200/02



Man Lavette Chen,

Kunqian Catherine Zhu

contre

Secretary of State for the Home Department


[demande de décision préjudicielle introduite par l'Immigration Appellate Authority of Hatton Cross (Royaume-Uni)]


«Article 18 CE – Directives 73/148/CEE et 90/364/CEE – Enfant ayant la nationalité d'un État membre – Droit de séjour dans un autre État membre – Droit de la mère, ressortissante d'un pays tiers, de séjourner dans cet État membre – Discrimination en raison de la nationalité»






I –   Introduction

1.       L'Immigration Appellate Authority of Hatton Cross (commission de recours en matière d'immigration de Hatton Cross) (Royaume-Uni) nous demande si le droit communautaire s'oppose, dans les circonstances particulières et inhabituelles du cas d'espèce, au refus d'un État membre d'accorder un permis de séjour de longue durée à une fillette en bas âge, ressortissante d'un autre État membre, qui a vécu depuis sa naissance sur le territoire du premier État, et à sa mère, ressortissante d'un pays tiers.

II –  Le droit communautaire pertinent

2.       Comme on le sait, l'article 17 CE institue une citoyenneté de l'Union, qui s'ajoute à la citoyenneté nationale, et implique en particulier, en application de l'article 18 CE, outre les autres droits et devoirs prévus par le traité CE, «le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le présent traité et par les dispositions prises pour son application».

3.       Parmi les dispositions de droit dérivé pertinentes en matière de circulation et de séjour, il faut rappeler ici en premier lieu la directive 73/148/CEE du Conseil, du 21 mai 1973, relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services  (2) .

4.       L’article 1er de la directive 73/148 énonce:

«1.    Les États membres suppriment, dans les conditions prévues par la présente directive, les restrictions au déplacement et au séjour:

[…]

b)
des ressortissants des États membres désireux de se rendre dans un autre État membre en qualité de destinataires d'une prestation de services;

[…]

d)
des ascendants et descendants de ces ressortissants et de leur conjoint qui sont à leur charge, quelle que soit leur nationalité.»

5.       L'article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la même directive précise que «[p]our les prestataires et les destinataires de services, le droit de séjour correspond à la durée de la prestation».

6.       La directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour  (3) , réglemente le droit de circulation et de séjour des personnes économiquement inactives. Son article 1er dispose ainsi:

«1.    Les États membres accordent le droit de séjour aux ressortissants des États membres qui ne bénéficient pas de ce droit en vertu d'autres dispositions du droit communautaire, ainsi qu'aux membres de leur famille tels qu'ils sont définis paragraphe 2, à condition qu'ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, d'une assurance-maladie couvrant l'ensemble des risques dans l'État membre d'accueil et de ressources suffisantes pour éviter qu'ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l'assistance sociale de l'État membre d'accueil.

[…]

2.      Ont le droit de s'installer dans un autre État membre avec le titulaire du droit de séjour, quelle que soit leur nationalité:

a)      son conjoint et leurs descendants à charge;

b)      les ascendants du titulaire du droit de séjour et de son conjoint qui sont à sa charge.»

III –  Faits et procédure

7.       Les questions préjudicielles ont été soulevées dans le cadre d'un recours intenté devant l'Immigration Appellate Authority par Melle Kunqian Catherine Zhu, ressortissante irlandaise née le 16 septembre 2000 à Belfast (Royaume-Uni) (ci-après «Catherine», ou encore «la première requérante»), et par sa mère, Mme Man Lavette Chen, ressortissante chinoise (ci-après «la mère» ou «Mme Chen», ou encore «la seconde requérante»), à l'encontre du refus du Secretary of State for the Home Department (ci-après le «Secretary of State») de leur accorder un permis de séjour de longue durée au Royaume-Uni.

8.       Mme Chen travaille avec son mari, également de nationalité chinoise, pour une société établie en Chine. Il s'agit d'une grande entreprise qui fabrique et exporte des produits chimiques dans différentes parties du monde, notamment au Royaume-Uni et dans d'autres États membres de l'Union européenne.

9.       M. Chen est l'un des directeurs de cette société et il y détient une participation majoritaire. Dans ses fonctions de directeur, il effectue de fréquents voyages d'affaires au Royaume-Uni et dans d'autres États membres de l'Union européenne.

10.     Avant la naissance de Catherine, le couple avait un seul fils, Huixiang Zhu, né en Chine en 1998. Les époux Chen avaient décidé d'avoir un second enfant, mais ils rencontraient des obstacles avec la politique de limitation des naissances, politique dite de «l'enfant unique» menée par la République populaire de Chine pour dissuader les couples résidant en Chine d'avoir un second enfant.

11.     Au cours de l'année 2000, pour éviter que la naissance du puîné, désormais imminente, puisse entraîner les conséquences négatives liées à ladite politique démographique, Mme Chen a décidé d'accoucher à l'étranger et s'est rendue à cette fin au Royaume-Uni.

12.     Catherine est venue au monde le 16 septembre 2000, à Belfast, en Irlande du Nord.

13.     Le choix du lieu de naissance n'a pas été dû au hasard. Nous devons rappeler en effet que, au cas où seraient satisfaites certaines conditions, quiconque naît sur le territoire de l'île d'Irlande, même en dehors des frontières politiques de l'Irlande (Eire) acquiert la nationalité irlandaise. Comme il ressort du dossier, c'est justement en considération de cette particularité du droit irlandais, qui leur avait été signalée par des avocats consultés à cet effet, que les époux Chen décidèrent de faire naître leur petite fille à Belfast. Ils entendaient en effet bénéficier de la citoyenneté communautaire de la fillette pour lui garantir ainsi qu'à sa mère la possibilité de s'établir au Royaume-Uni.

14.     La situation de Catherine répondait en effet aux conditions indiquées prévues par le droit irlandais; elle a donc acquis la nationalité irlandaise par la naissance et, par là, la citoyenneté de l'Union. La fillette n'a par contre pas acquis la nationalité britannique parce qu'elle ne remplissait pas les conditions fixées à cette fin par la législation applicable du Royaume-Uni.

15.     Par la suite, s'étant transférée avec la fillette à Cardiff, au pays de Galles, Mme Chen a présenté aux autorités britanniques une demande de permis de séjour de longue durée au Royaume-Uni pour elle et pour sa fille Catherine.

16.     Les demandes ont été rejetées par une décision du Secretary of State du 15 juin 2000. Catherine et sa mère ont introduit un recours contre cette décision devant l'Immigration Appellate Authority.

17.     Le juge saisi a constaté que la décision attaquée était en principe conforme au droit national applicable en l'espèce. Toutefois, une série de circonstances l'ont amené à se demander si elle serait également conforme au droit communautaire.

18.     À ce sujet, le juge a relevé essentiellement que Catherine, en tant que citoyenne de l'Union, pourrait être titulaire d'un droit de séjour qui lui serait attribué directement par les dispositions de l'ordre communautaire; la mère, de son côté, pourrait jouir d'un droit dérivé de celui de sa fille, dans la mesure où elle est la principale responsable de son assistance et de son éducation.

19.     Plus précisément, concernant la fillette, il faudrait se demander si son droit de séjour au Royaume-Uni ne résulte pas en premier lieu de sa qualité de destinataire de services, au sens de la directive 73/148: Catherine est en effet destinataire au Royaume-Uni de services de puériculture et de services médicaux fournis par des personnes privées contre paiement.

20.     En outre, la mère et la fille, qui ont toujours vécu sous le même toit, constituent un noyau familial autosuffisant économiquement grâce aux ressources dont dispose la mère. Elles n'ont pas été à la charge de fonds publics britanniques, et il semble peu probable qu'elles le deviennent. Toutes deux sont couvertes par une assurance-maladie. Il n'est pas à exclure par conséquent, observe le juge de renvoi, qu'elles jouissent d'un droit de séjour au titre de la directive 90/364.

21.     Enfin, le juge relève que Catherine a le droit d'entrer sur le territoire de la Chine au maximum trente jours à chaque fois et seulement sur autorisation du gouvernement de ce pays, dont elle n'a pas la nationalité. Refuser à la fillette ou à sa mère le droit de séjourner au Royaume-Uni pourrait en conséquence constituer une atteinte illicite à leur vie familiale, parce que la possibilité de continuer à mener une vie commune serait fortement entravée.

22.     Pour ces raisons, l'Immigration Appellate Authority of Hatton Cross a soumis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    À la lumière des faits de la présente affaire, l'article 1er de la directive 73/148/CEE du Conseil ou, alternativement, l'article 1er de la directive 90/364/CEE du Conseil:

a)      confèrent-ils à la première requérante, qui est mineure et citoyenne de l'Union, le droit d'entrer et de séjourner sur le territoire de l'État membre d'accueil?

b)      Dans l'affirmative, confèrent‑ils par voie de conséquence à la seconde requérante, ressortissante d'un État tiers, qui est la mère de la première requérante et qui en est responsable à titre principal, le droit de séjourner avec la première requérante

i)      en tant que membre de sa famille se trouvant à sa charge, ou

ii)    au motif qu'elle vivait avec la première requérante dans son pays d'origine ou,

iii)  pour tout autre motif spécial?

2)      Dans la mesure où la première requérante ne serait pas une «ressortissante d'un État membre» aux fins de l'exercice des droits issus de l'ordre juridique communautaire en vertu de la directive 73/148/CEE du Conseil ou de l'article 1er de la directive 90/364/CEE du Conseil, quels sont les critères pertinents pour déterminer si un enfant qui est citoyen de l'Union est un ressortissant d'un État membre aux fins de l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire?

3)      Dans les circonstances de la présente affaire, les services de puériculture dont bénéficie la première requérante constituent‑ils des services aux fins de la directive 73/148/CEE du Conseil?

4)      Dans les circonstances de la présente affaire, la première requérante est‑elle privée du droit de séjourner dans l'État d'accueil fondé sur l'article 1er de la directive 90/364/CEE du Conseil en raison du fait que ses ressources proviennent exclusivement du parent qui l'accompagne et qui est ressortissant d'un État tiers?

5)      À la lumière des faits particuliers de la présente affaire, l'article 18, paragraphe 1, CE confère‑t-il à la première requérante le droit d'entrer et de séjourner sur le territoire de l'État membre d'accueil alors même qu'elle ne possède pas le droit d'y séjourner en vertu de toute autre disposition du droit communautaire?

6)      Dans l'affirmative, la seconde requérante bénéficie‑t‑elle par voie de conséquence du droit de demeurer avec la première requérante lorsque  (4) celle‑ci séjourne sur le territoire de l'État membre d'accueil?

7)      Dans ce contexte, quel est l'effet du principe du respect des droits fondamentaux […] invoqué par les requérantes, prévus en particulier par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales [ci-après la «CEDH», selon lequel toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, lu en combinaison avec l'article 14 de la même convention, et du fait que la première requérante ne peut pas vivre en Chine avec la seconde requérante, son père et son frère?»

23.     Dans la procédure devant la Cour, les parties requérantes au principal, l'Irlande, le Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes ont déposé des observations.

IV –  Appréciation

A –   Préambule

24.     Comme nous l'avons déjà indiqué, et comme le confirme la description des faits, nous sommes ici en présence d'un cas certainement insolite et avec des caractéristiques si singulières que le débat lui-même entre les parties en a été en quelque sorte conditionné. Parfois, en effet, celles-ci sont apparues plus préoccupées de rechercher des solutions tout aussi particulières que de vérifier si même les aspects les plus inhabituels de cette affaire n'auraient pas pu être rattachés au cadre des règles habituelles et des principes juridiques communautaires, tels que définis par la jurisprudence de la Cour. Comme nous le verrons ci-après, au contraire, c'est justement la voie qui doit être, à notre avis, choisie pour donner une réponse aux questions soulevées par l'affaire concernant Catherine Zhu.

25.     À cette fin, il convient tout d'abord de regrouper les différentes questions posées par le juge de renvoi pour faire mieux ressortir les questions essentielles présentées à la Cour et également pour garantir une analyse structurée. Cela peut se faire, semble-t-il, en dégageant de celles-ci des questions de deux ordres qui peuvent se résumer dans les termes suivants:

a)      Catherine a-t-elle le droit de séjourner en permanence au Royaume-Uni en tant que destinataire de services, au sens de la directive 73/148, ou en tant que ressortissante communautaire inactive mais disposant de ressources suffisantes et d'une assurance-maladie, en vertu de la directive 90/364, ou enfin directement sur la base de l'article 18 CE?

b)      la mère bénéficie-t-elle d'un droit de séjour en tant que «parent à charge» de l'enfant au sens des directives précitées, ou en tant que responsable principale de l'éducation et des soins de Catherine, ou enfin compte tenu du droit au respect de la vie familiale consacré par l'article 8 de la CEDH?

26.     Nous traiterons donc ci-après les questions soulevées par la juridiction de renvoi selon l'approche indiquée et en prenant en considération à chaque fois, dans la mesure où cela s'avérera nécessaire ou opportun, les arguments invoqués par les personnes qui ont présenté des observations au cours de la procédure.

B –   Sur la nature interne du litige

27.     Toutefois avant de traiter les questions indiquées nous devons nous arrêter sur une exception d'irrecevabilité soulevée par le gouvernement du Royaume-Uni.

28.     À titre préliminaire, en effet, ce gouvernement a objecté que la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer sur les questions soumises par le juge de renvoi parce que le litige concernerait une situation purement interne. Le seul élément d'extranéité, c'est-à-dire la nationalité de la fillette, serait le résultat artificieux d'une manœuvre des époux Chen qui s'analyserait comme un abus de droit.

29.     Nous laissons de côté pour le moment ce dernier aspect dans la mesure où nous estimons que son analyse pourrait devenir plus claire une fois que nous aurons traité le fond des questions préjudicielles (voir infra point 108 et suivants).

30.     Concernant, en revanche l'exception relative à la nature purement interne du litige, nous rappelons que, selon le gouvernement du Royaume-Uni, les requérantes n'auraient jamais exercé la liberté de circulation qui leur est attribuée par le traité parce qu'elles n'auraient jamais quitté le Royaume-Uni pour se rendre dans un autre État membre. Il n'y aurait par conséquent pas d'éléments d'extranéité suffisants pour donner lieu à l'application du droit communautaire aux demandes de permis de séjour en question.

31.     Nous croyons toutefois que l'objection ne saurait être accueillie.

32.     Nous rappelons tout d'abord que, selon la jurisprudence communautaire constante, avoir la nationalité d'un État membre autre que celui dans lequel une personne réside est un élément suffisant pour donner lieu à l'application des dispositions du droit communautaire, quand bien même la personne qui invoque ces dispositions n'aurait jamais franchi les frontières de l'État membre dans lequel elle réside  (5) .

33.     En particulier, dans le récent arrêt Garcia Avello, après avoir rappelé que «[l]a citoyenneté de l'Union, prévue à l'article 17 CE, n'a pas […] pour objectif d'étendre le champ d'application matériel du traité également à des situations internes n'ayant aucun rattachement au droit communautaire»  (6) , la Cour a eu l'occasion d'expliquer que, «[t]outefois, un tel rattachement au droit communautaire existe à l'égard de personnes […] qui sont des ressortissants d'un État membre séjournant légalement sur le territoire d'un autre État membre»  (7) et cela indépendamment du fait qu'ils aient exercé la liberté de circulation prévue par le traité ou, au contraire, comme dans ce cas, qu'ils aient vécu depuis leur naissance sur le territoire de l'État membre d'accueil.

34.     Donc la nationalité irlandaise de Catherine est un élément suffisant pour exclure que le litige qui l'oppose, avec sa mère, au Secretary of State soit purement interne à l'ordre juridique britannique.

35.     On pourrait éventuellement parvenir à une autre conclusion seulement si on estimait que Catherine ne possède pas effectivement la citoyenneté irlandaise, ou qu'en toute hypothèse la possession de cette nationalité ne serait pas opposable au gouvernement du Royaume-Uni.

36.     Nous devons toutefois noter qu'à aucune phase de la procédure, ni devant la juridiction nationale ni devant la Cour, il a été mis en doute que Catherine possède effectivement la nationalité irlandaise, du reste tout comme la légalité, du point de vue du droit international ou communautaire, de l'attribution de cette citoyenneté de la part de l'État irlandais n'a pas été contestée par le gouvernement du Royaume-Uni.

37.     Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire de prendre position sur l'existence ou non d'une disposition de droit international général selon laquelle aucun État ne serait tenu de reconnaître la nationalité attribuée à l'individu par un autre État, en l'absence d'un lien réel et effectif de l'individu avec l'État national  (8) .

38.     Nous nous bornons à rappeler que, pour ce qui concerne l'ordre juridique communautaire, la Cour a affirmé dans les arrêts Micheletti e.a.  (9) et Kaur  (10) que «la définition des conditions d'acquisition et de perte de la nationalité relève, conformément au droit international, de la compétence de chaque État membre»  (11) , et que par conséquent «[i]l n'appartient pas […] à la législation d'un État membre de restreindre les effets de l'attribution de la nationalité d'un autre État membre, en exigeant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette nationalité en vue de l'exercice des libertés fondamentales prévues par le traité»  (12) .

39.     Il nous semble par conséquent que l'on peut conclure que, compte tenu de la nationalité irlandaise de Catherine, le litige pendant devant l'Immigration Appellate Authority entre en principe dans le champ d'application du traité et que l'exception d'irrecevabilité soulevée par le gouvernement du Royaume-Uni doit de ce fait être rejetée.

C –   Sur le droit de séjour de Catherine

40.     Cela étant, et en abordant le fond des questions énoncées ci-dessus [point 25, sous a)], nous devons tout d'abord nous demander quels sont les droits de circulation et de séjour dont jouit dans l'ordre juridique une fillette, comme Catherine, qui est ressortissante d'un État membre de l'Union et qui a vécu depuis sa naissance dans un autre État membre.

– Sur la possibilité pour un mineur d'être titulaire des droits de circulation et de séjour

41.     À ce sujet, le gouvernement irlandais semble soulever à titre de principe que Catherine ne pourrait pas invoquer les droits de circulation et de séjour prévus par le traité.

42.     Si nous avons bien compris le raisonnement de ce gouvernement, en effet, étant donné que Catherine est un enfant en bas âge, elle ne serait pas capable d'exercer de façon autonome le droit de choisir un lieu de résidence et de s'y établir  (13) . En conséquence, elle ne pourrait pas être considérée comme bénéficiaire des droits reconnus aux citoyens d'un État membre par la directive 90/364  (14) .

43.     Ce raisonnement ne saurait être partagé. Il nous semble en effet qu'il naît d'une confusion entre la capacité d'une personne à être titulaire de droits et d'obligations (la capacitᄅ de jouissance)  (15) et la capacité de celle-ci à mettre en œuvre des actes produisant des effets juridiques (la capacité d'exercice)  (16) .

44.     Le fait qu'un mineur ne puisse pas exercer de façon autonome un droit ne signifie pas en effet qu'il n'aurait pas la capacité à être le destinataire de la règle juridique sur laquelle ce droit se fonde.

45.     Le raisonnement doit au contraire s'effectuer en sens opposé. Puisque, selon un principe général commun (entre autres) aux droits des États membres, la capacité de jouissance s'acquiert par la naissance, même le mineur est un sujet de droit et en tant que tel, il est donc titulaire des droits conférés par l'ordre juridique.

46.     Le fait ensuite qu'il ne soit pas en mesure de les exercer de façon autonome ne fait pas disparaître sa qualité de titulaire de ces droits. Au contraire, c'est justement parce qu'il a cette qualité que d'autres personnes, préposées à cet effet par l'ordre juridique (les parents, le tuteur, etc.) pourront faire valoir ses droits et pourront le faire non parce qu'ils en seraient les titulaires, mais parce qu'ils agissent au nom et pour le compte du mineur, c'est-à-dire de l'unique et véritable titulaire de ces droits.

47.     En l'espèce, en toute hypothèse la thèse soutenue par le gouvernement irlandais non seulement n'est corroborée par aucun élément textuel, mais elle n'est pas justifiée non plus par la nature des droits et des libertés en question. En effet, elle apparaît incompatible avec les finalités poursuivies par les dispositions pertinentes du traité, à savoir les articles 49 CE et suivants, pour ce qui concerne la liberté de circulation des services, et l'article 18 CE, pour ce qui concerne le droit de séjour des citoyens de l'Union.

48.     Quant aux articles 49 CE et suivants, on sait qu'un des objectifs de la liberté instituée par ceux-ci consiste justement à faciliter la circulation des personnes qui doivent se déplacer pour recevoir des prestations de services  (17) .

49.     Or, il est nécessaire de relever qu'un mineur, même en bas âge, peut bien être destinataire de divers services et parmi ceux-ci également des services d'importance primordiale (par exemple, des soins médicaux).

50.     Par là même, ce mineur sera titulaire des droits qui lui sont conférés par les articles 49 CE et suivants, en tant que destinataire de services.

51.     Concernant ensuite les dispositions sur le droit de séjour, nous observons que l'article 18 CE, tel que complété par l'article 1er de la directive 90/364, entend assurer à tout citoyen communautaire – qui satisfait à certaines conditions – le droit de s'établir dans tout État membre, et ce même au cas où il ne voudrait pas ou ne pourrait pas y exercer la moindre activité économique.

52.     Or, compte tenu également de ce que nous venons d'expliquer (points 43 et suivants), il n'y aucune raison de priver un mineur d'un droit attribué à titre général à tous les citoyens communautaires par une disposition fondamentale du droit communautaire, telle que l'article 18 CE. De sorte que, si les conditions fixées par la directive sont réunies, même le mineur pourra se prévaloir du droit de séjourner librement, en tant que personne économiquement inactive, dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité.

53.     Cela est du reste clairement confirmé par la jurisprudence de la Cour, pour laquelle il ne fait aucun doute que même les mineurs peuvent être titulaires de droits de séjour. Dans l'affaire Echternach et Moritz  (18) , par exemple, elle a explicitement déclaré qu'un mineur, fils d'un travailleur qui a entre-temps quitté le pays d'accueil, «garde la faculté d'invoquer les dispositions du droit communautaire» qui lui permettent de rester dans ce pays pour terminer les études déjà entreprises  (19) .

54.     Cette solution ne saurait varier non plus en fonction de l'âge du mineur, parce que du point de vue des principes, la situation ne change pas.

55.     Nous en concluons donc que même un mineur en bas âge, comme Catherine, peut être titulaire des droits de circulation et de séjour à l'intérieur de la Communauté.

– Sur l'existence en pratique d'un droit de séjour de Catherine

56.     Cela posé d'un point de vue général, il s'agit alors d'établir si, en l'espèce, Catherine peut invoquer un droit de séjour: i) en tant que destinataire de services au sens de la directive 73/148, ou ii) sur la base des dispositions de l'article 18 CE et de la directive 90/364.

57.     i) Nous commencerons par constater que le droit de Catherine à séjourner durablement au Royaume-Uni ne saurait se fonder sur sa qualité de destinataire de services de puériculture et de services médicaux (voir supra point 19).

58.     Pour ce qui concerne les premiers, en effet, même indépendamment du problème de la détermination du destinataire de ces services qui semblerait en vérité être la mère, il ressort du dossier que les prestations en question ne sont pas effectuées à titre temporaire, mais à titre permanent et ininterrompu.

59.     Or, comme l'a justement rappelé la Commission, la jurisprudence communautaire a expliqué depuis longtemps que la liberté de prestations de services ne saurait être invoquée à propos d'«une activité exercée à titre permanent ou, en tout cas, sans limitation prévisible de durée»  (20) , parce que dans ce cas ce sont au contraire les dispositions du traité relatives à l'établissement qui seraient applicables. Cela vaut en premier lieu pour le prestataire, mais cela vaut évidemment, et à plus forte raison, pour le destinataire de services, qui peut invoquer cette liberté seulement dans la mesure où il ne souhaite pas s'établir définitivement dans le pays d'accueil  (21) .

60.     Mais un droit de séjour stable de Catherine ne pourrait pas se fonder non plus sur d'éventuels services médicaux. Ceux-ci en effet, en raison de leur nature, sont fournis pendant une durée limitée. De ce fait, si elle en était effectivement destinataire (ce qui du reste ne ressort pas clairement du dossier), Catherine pourrait se prévaloir, selon ce qui est explicitement prévu à l'article 4, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 73/148, du droit de demeurer au Royaume-Uni seulement pendant les périodes nécessaires pour recevoir ces soins.

61.     C'est-à-dire qu'elle pourrait invoquer un droit de séjour temporaire correspondant précisément «à la durée de la prestation», mais elle ne pourrait pas obtenir, en application de la directive précitée, un titre de séjour de longue durée.

62.     ii) Il reste alors à apprécier si Catherine pourrait faire valoir un droit de séjour au Royaume-Uni au titre de l'article 18 CE et de la directive 90/364.

63.     L'article 18 CE, nous le rappelons, attribue à tout citoyen de l'Union le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par le traité et par les dispositions de droit dérivé.

64.     Aux fins de la présente affaire, ces limitations et conditions sont définies par la directive 90/364.

65.     L'article 1er de cette dernière, en particulier, en accordant «le droit de séjour aux ressortissants des États membres qui ne bénéficient pas de ce droit en vertu d'autres dispositions du droit communautaire» impose la «condition qu'ils disposent, pour eux-mêmes et pour les membres de leur famille, d'une assurance-maladie couvrant l'ensemble des risques dans l'État membre d'accueil et de ressources suffisantes pour éviter qu'ils ne deviennent, pendant leur séjour, une charge pour l'assistance sociale de l'État membre d'accueil».

66.     Or, comme il ressort de l'ordonnance du juge de renvoi, Catherine est bénéficiaire d'une assurance-maladie appropriée et dispose en outre, par le biais des membres de sa famille, de ressources suffisantes pour éviter le risque qu'elle devienne «pendant [son] séjour, une charge pour l'assistance sociale de l'État membre d'accueil».

67.     On dirait donc que les deux conditions posées par la directive 90/364 sont respectées.

68.     Tel n'est toutefois pas l'avis des gouvernements intervenants, lesquels estiment que Catherine ne serait pas autonome sur le plan économique parce que les ressources financières dont elle dispose lui sont en réalité assurées par sa mère.

69.     Selon ces gouvernements, le droit de séjour institué par la directive 90/364 serait en substance limité aux seules personnes qui seraient elles-mêmes bénéficiaires – «in [their] own right», suggère le gouvernement irlandais – de revenus ou de rentes qui leur garantiraient de disposer de ressources suffisantes.

70.     Nous devons cependant constater que, comme le souligne à juste titre la Commission, une telle limitation du droit de séjour ne trouve aucune confirmation dans le libellé de ladite directive, qui se borne en effet à exiger que les personnes qui invoquent ce droit «disposent […] de ressources suffisantes»  (22) .

71.     Il ne nous semble pas du reste qu'une telle limitation serait conforme aux finalités de cette directive.

72.     Comme on le sait, celle-ci a été adoptée pour élargir la portée du droit de circulation et de séjour, en l'étendant à tous les citoyens communautaires avec les limites connues destinées à éviter «une charge déraisonnable pour les finances publiques de l'État membre d'accueil» (voir quatrième considérant).

73.     Avec l'introduction par le traité sur l’Union européenne de l'article 8 A dans le traité CE, devenu, après modification, article 18 CE, la liberté de circulation et de séjour a ensuite été énoncée comme un droit fondamental des citoyens communautaires, quoique dans les limites et les conditions fixées (entre autres) par la directive 90/364.

74.     Dans ce nouveau cadre, cette directive devient en conséquence un acte qui limite l'exercice d'un droit fondamental. Les conditions imposées par celle-ci doivent donc être interprétées dans un sens restrictif, comme toutes les exceptions et les limitations imposées aux libertés consacrées par le traité. Il est donc à exclure que son libellé puisse être forcé au point d'y insérer une condition non prévue expressément, comme celle proposée par les gouvernements intervenants.

75.     Mais il y a plus. Comme la Cour l'a reconnu dans l'arrêt Baumbast et R, «l'exercice du droit de séjour des citoyens de l'Union peut être subordonné aux intérêts légitimes des États membres»  (23) ; «[t]outefois, l'application desdites limitations et conditions doit être faite dans le respect des limites imposées par le droit communautaire et conformément aux principes généraux de ce droit, notamment, le principe de proportionnalité. Cela signifie que les mesures nationales prises à cet égard doivent être appropriées et nécessaires pour atteindre le but recherché»  (24) .

76.     Or, il nous semble qu'une interprétation de la directive 90/364 telle que celle proposée par le Royaume-Uni et par l'Irlande donnerait lieu à un obstacle non nécessaire à la réalisation des finalités de ladite directive.

77.     Ce qu'il importe de garantir, en effet, c'est que les citoyens de l'Union qui exercent la liberté de circulation ne deviennent pas une charge pour les finances de l'État d'accueil. S'il est nécessaire à cette fin qu'ils «disposent» de ressources financières suffisantes, il n'est en revanche nullement nécessaire de formuler une condition supplémentaire, du reste difficile à préciser, sur laquelle ces ressources doivent leur appartenir directement.

78.     En conclusion, nous estimons que la Cour devrait répondre au juge de renvoi dans le sens qu'une mineure en bas âge, citoyenne communautaire, qui est bénéficiaire d'une assurance-maladie apte à couvrir tous les risques dans l'État membre d'accueil et qui, quoique n'étant pas directement bénéficiaire de revenus ou de rentes, a en toute hypothèse à sa disposition par le biais de ses parents des ressources suffisantes pour exclure qu'elle puisse devenir une charge pour les finances de l'État membre d'accueil, satisfait aux conditions posées à l'article 1er de la directive 90/364 et jouit donc d'un droit de séjour à durée indéterminée sur le territoire d'un État membre autre que celui dont elle est ressortissante.

D –   Sur le droit de séjour de la mère

79.     Cela étant, nous abordons à présent la question relative au droit de séjour de la mère de Catherine.

80.     Pour commencer, il nous paraît tout à fait établi que Mme Chen, étant citoyenne d'un pays tiers, ne saurait invoquer le droit de séjour attribué aux citoyens communautaires par l'article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 73/148 (supra, point 4) et par l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 90/364 (supra, point 6).

– Sur l'existence d'un droit en tant que parent «à charge»

81.     Cela dit, on doit également exclure que Mme Chen puisse invoquer le droit de séjour prévu par l'article 1er, paragraphe 1, sous d), de la directive 73/148 et par l'article 1er, paragraphe 2, sous b), de la directive 90/364, en faveur des ascendants «à charge» d'un citoyen communautaire titulaire d'un droit de séjour, quelle que soit leur nationalité.

82.     La jurisprudence communautaire a en effet précisé qu'est un parent «à charge» celui qui dépend pour la satisfaction de ses propres besoins matériels du soutien que lui fournit un autre membre de la famille  (25) .

83.     Cela évidemment ne se produit pas dans la présente espèce, vu que Mme Chen est indépendante économiquement, c'est au contraire elle justement qui pourvoit à la satisfaction des besoins matériels de sa fille.

84.     On ne pourrait pas retenir non plus, contrairement à ce que suggère le juge de renvoi, que la notion de membre de la famille à charge inclut également les personnes «affectivement dépendantes» du citoyen communautaire titulaire du droit de séjour ou ceux dont le droit de résider dans un pays membre «dépend» du droit de ce ressortissant.

85.     Même en faisant abstraction de la jurisprudence de la Cour qui vient d'être rappelée, nous observons que seule la version en langue anglaise utilise un terme neutre tel que «dependent» alors que, comme le relève à juste titre la Commission, dans toutes les autres versions linguistiques, le terme utilisé renvoie, sans ambiguïté, à une dépendance matérielle.

86.     En l'espèce, de ce fait, Mme Chen ne saurait être qualifiée de «parent à charge» de Catherine au sens desdites directives, en dépit du lien affectif indubitable («emotional») qui la lie à sa fille et en dépit du fait que son éventuel droit de séjour soit lié à celui de son enfant.

87.     Il nous semble par conséquent que ni la directive 73/148, ni la directive 90/364 n'attribuent directement à Mme Chen un droit durable de séjour au Royaume-Uni.

– Sur l'existence d'un droit de séjour dérivé

88.     Cela étant, il reste à examiner si la mère de Catherine pourrait se prévaloir d'un droit de séjour dérivé de celui de sa fille.

89.     Disons d'emblée qu'à notre avis cette question devrait recevoir une réponse positive.

90.     Nous estimons en effet qu’une réponse négative serait manifestement contraire aux intérêts de la mineure et à l'exigence de respecter l'unité de la vie familiale. Mais surtout, elle priverait de tout effet utile le droit de séjour conféré par le traité à Catherine parce qu'il est évident que celle-ci, ne pouvant rester seule au Royaume-Uni, finirait par ne pas pouvoir jouir de ce droit.

91.     Les mêmes considérations semblent inspirer également la jurisprudence communautaire. Dans l'arrêt Baumbast et R, en effet, la Cour a reconnu que «lorsque des enfants bénéficient d'un droit de séjour dans un État membre d'accueil» le droit communautaire «permet au parent qui a effectivement la garde de ces enfants, quelle que soit sa nationalité, de séjourner avec eux de manière à faciliter l'exercice dudit droit»  (26) . Il est évident que, si une telle conclusion valait dans un cas, comme celui cité, d'enfants en âge scolaire, à plus forte raison elle doit valoir dans le cas d'une fillette en bas âge comme Catherine.

92.     La raison d'être de la jurisprudence rappelée réside, évidemment, tout d'abord dans l'exigence de protéger l'intérêt du mineur, compte tenu que c'est justement à cette finalité que doit tendre l'exercice de la faculté, accordée au parent (ou au tuteur), de choisir le lieu d'établissement du mineur au nom et pour le compte de celui-ci.

93.     Or, si on lui refusait le droit de séjour en Grande-Bretagne, la mère pourrait exercer au nom et pour le compte de Catherine le droit d'établissement sur le territoire de ce pays seulement dans un sens manifestement contraire à l'intérêt de sa fille, parce que dans cette éventualité la fillette devrait être automatiquement abandonnée par sa mère.

94.     Pour ce motif, donc, ledit refus serait également contraire au principe du respect de la vie familiale, principe énoncé à l'article 8 de la CEDH  (27) , auquel la Cour reconnaît une importance fondamentale  (28) .

95.     Pour échapper à de telles conséquences, Mme Chen devrait donc seulement renoncer à exercer le droit de sa fille à s'établir en Grande-Bretagne. Ce qui signifie toutefois que, contrairement à la jurisprudence qui vient d'être rappelée, le droit de circulation et de séjour que la citoyenne irlandaise Catherine a tiré de l'article 18 CE et de la directive 90/364 non seulement ne serait pas «facilité» mais serait même privé de tout effet utile.

96.     Ne serait-ce que pour cette raison, nous estimons par conséquent que la mère de Catherine peut invoquer un droit de séjour dérivé de celui de sa fille.

– Sur l'interdiction de discrimination en raison de la nationalité

97.     Mais à part cela, il nous semble que l'attribution à Mme Chen du droit de séjour trouverait un soutien décisif dans l'article 12 CE qui interdit, dans le champ d'application du traité, toute discrimination fondée sur la nationalité.

98.     Nous estimons en effet que toutes les conditions d'application de cette disposition sont réunies en l'espèce.

99.     En premier lieu, le litige dont nous discutons relève certainement du champ d'application du traité, puisqu'il concerne le droit d'une ressortissante communautaire à séjourner sur le territoire d'un État membre, en application de l'article 18 CE et de la directive 90/364, et cela vaut également pour ce qui concerne le droit de séjour de la mère qui, comme nous venons de le voir, est indissolublement lié à celui de sa fille.

100.   Il est de jurisprudence constante, à cet égard, que le principe de non-discrimination «exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale»  (29) .

101.   Or, comme il est apparu au cours de la procédure et en particulier lors de l'audience, si Catherine était de nationalité britannique  (30) , la mère – tout en étant ressortissante d'un pays tiers – aurait le droit de rester avec sa fille au Royaume-Uni.

102.   Cela signifie que, tous les autres éléments de fait abstraitement pertinents étant égaux par ailleurs, donc en présence d'une «situation comparable», la nationalité de la fille impliquerait un traitement favorable de la demande de permis de séjour de la mère.

103.   Or, il n'y a aucune raison objective qui justifierait une inégalité de traitement dans la présente affaire.

104.   En effet, si une citoyenne d'un pays tiers, en tant que mère d'un enfant anglais, a le droit, de ce seul fait, de demeurer au Royaume-Uni, cela se produit évidemment compte tenu du rôle fondamental de la mère du point de vue affectif et pour l'éducation de l'enfant, ainsi que, d'une façon plus générale, pour des raisons de protection de la famille et de son unité.

105.   Toutefois des considérations de ce fait s'appliquent également à un cas comme celui de l'espèce où l'enfant, quoique ne pouvant pas tirer son droit de séjour directement de la nationalité britannique, jouit néanmoins d'un droit de séjour de longue durée au Royaume-Uni, au motif de sa citoyenneté communautaire. Il est tout à fait évident, en effet, que le rôle irremplaçable d'une mère sur le plan affectif et le plan éducatif d'un mineur en bas âge ne dépend nullement de la nationalité de l'enfant.

106.   Par conséquent, en l'absence de raisons objectives qui puissent justifier un traitement différencié de la demande de séjour de la mère sur la base de la nationalité de son enfant, on doit retenir que les mesures britanniques en question constituent une discrimination en raison de la nationalité contraire à l'article 12 CE.

– Considérations finales

107.   Nous concluons donc en proposant à la Cour de répondre au juge de renvoi que la décision par laquelle les autorités d'un État membre rejettent la demande d'un permis de séjour de longue durée présentée par la mère d'une citoyenne communautaire mineure, titulaire d'un droit de séjour dans cet État membre, outre qu'elle prive d'effet utile le droit reconnu à la mineure par l'article 18 CE et par l'article 1er de la directive 90/364, constitue une discrimination en raison de la nationalité, interdite par l'article 12 CE.

E –   Sur l'abus de droit

108.   Comme nous l'avons déjà indiqué (voir supra, points 28 et suivants), le gouvernement du Royaume-Uni a également invoqué le fait que les époux Chen auraient fait naître leur fille sur le territoire de l'Irlande du Nord dans l'intention manifeste de lui assurer l'acquisition de la nationalité irlandaise et par celle-ci, le droit de séjour dans un autre pays membre de la Communauté. La citoyenneté irlandaise de Catherine aurait donc un caractère «artificieux», en étant le résultat d'un dessein précis mis en œuvre par les parents pour obtenir un droit de séjour dans la Communauté.

109.   Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour qu'un État membre est en droit de prendre des mesures destinées à empêcher que grâce aux facilités offertes par le traité, les intéressés ne se prévalent abusivement ou frauduleusement du droit communautaire pour se soustraire à l'emprise des législations nationales  (31) .

110.   En l'espèce, on serait donc en présence d'un abus de droit, susceptible d'avoir une incidence sur l'issue du présent litige.

111.   Pour notre part, toutefois, nous n'estimons pas pouvoir nous rallier à cette conclusion, même indépendamment des réserves que, sur le plan général, suscite la transposition au niveau communautaire d'une notion dont l'existence est déjà discutée dans les droits nationaux et dont la définition est encore plus incertaine.

112.   En tout cas, même en voulant se placer sur le terrain des arguments britanniques, il nous semble que le système des rapports entre le droit communautaire et les droits des États membres, tel qu'il a été dessiné désormais par plusieurs décennies de jurisprudence de la Cour, implique nécessairement que l'abus d'un droit conféré par le traité ne puisse avoir lieu que dans des circonstances exceptionnelles, parce que le fait que l'application d'une disposition nationale soit exclue au motif qu'un droit conféré par l'ordre communautaire est invoqué constitue la conséquence normale du principe de primauté du droit communautaire.

113.   La circonstance que l'intéressé se mette sciemment dans une situation de fait qui fasse naître en sa faveur un droit découlant de l'ordre communautaire, afin d'éviter de cette façon l'application d'une certaine réglementation nationale qui lui est défavorable, ne saurait constituer en soi un élément suffisant pour entraîner l'inapplicabilité des dispositions communautaires pertinentes  (32) .

114.   Pour que l'on puisse éventuellement parler d'abus de droit, il faut qu'il ressorte d'un «ensemble de circonstances objectives» que, «malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation communautaire, l'objectif poursuivi par cette réglementation n'a pas été atteint»  (33) . C'est-à-dire qu'il faut établir si l'intéressé, en invoquant la disposition communautaire qui attribue le droit en question, en trahit l'esprit et la portée.

115.   Le critère de référence est donc, essentiellement, s'il existe ou non une dénaturation des finalités et des objectifs de la disposition communautaire attribuant le droit en question.

116.   Or, en l'espèce, ces conditions ne sont pas réunies à notre avis. Nous n'estimons pas en effet que le comportement des époux Chen puisse être considéré comme de nature à impliquer une «mise en échec éventuelle du droit national par des ressortissants communautaires faisant un recours abusif ou frauduleux au droit communautaire»  (34) .

117.   Il est vrai que Mme Chen, en se prévalant des dispositions du traité qui attribuent un droit de séjour à Catherine et, par conséquent, à elle-même, en tant que mère de la fillette, finit par éluder les dispositions anglaises restreignant le droit de séjour des ressortissants de pays tiers.

118.   Il nous semble toutefois qu'il n'y a là aucune dénaturation des finalités des dispositions communautaires invoquées.

119.   La finalité poursuivie par les dispositions relatives au droit de séjour, en particulier par l'article 18 CE, tel qu'il est mis en œuvre par la directive 90/364 et confirmé par l'article 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, n'est en effet que trop évidente. Il s'agit en effet d'éliminer toutes restrictions à la circulation et au séjour des citoyens communautaires, à la seule condition qu'ils ne constituent pas une charge pour les finances de l'État d'accueil.

120.   Or, quand un futur parent décide, comme en l'espèce, que le bien de sa propre fille mineure exige qu'elle acquière la citoyenneté communautaire pour pouvoir ensuite jouir des droits correspondants, en particulier du droit d'établissement visé à l'article 18 CE, il n'y a rien d'«abusif» dans le fait qu'il s'efforce, dans le respect des lois, de faire en sorte que la fillette satisfasse, à la date de sa naissance, aux conditions d'acquisition de la nationalité d'un État membre.

121.   Tout comme on ne saurait juger «abusif» le fait que ce parent mette tout en œuvre pour que la fillette puisse exercer son droit de séjour, légitimement acquis, et demande en conséquence d'être admis à séjourner avec elle dans le même État d'accueil.

122.   On n'est pas en présence ici en effet de personnes «faisant un recours abusif ou frauduleux au droit communautaire»  (35) , en dénaturant la portée et les finalités des dispositions de cet ordre juridique, mais de personnes qui, connaissant le contenu des libertés prévues par le droit communautaire, s'en prévalent par des moyens légaux, justement pour atteindre l'objectif que la disposition communautaire veut assurer: le droit de séjour de la fillette.

123.   L'exclusion, à l'égard de la mère, des dispositions britanniques sur le séjour des ressortissants de pays tiers, ne saurait non plus être considérée comme le résultat d'un abus de droit. Comme on l'a vu en effet, elle constitue un résultat parfaitement cohérent avec l'objectif de la disposition communautaire en question et elle est même une condition nécessaire pour réaliser cet objectif, dans la mesure où elle permet d'assurer à une citoyenne communautaire le droit de séjourner librement sur le territoire d'un État membre.

124.   En réalité, le problème, si on peut parler de problème, réside dans le critère d'attribution de la nationalité adopté par la législation irlandaise, le jus soli  (36) , lequel se prête à provoquer des situations telles que celle dont il s'agit dans la présente espèce.

125.   Pour éviter de telles situations, en effet, on aurait pu tempérer le critère précité en y ajoutant une condition de résidence stable du parent sur le territoire de l'île d'Irlande  (37) . Mais une telle condition supplémentaire n'existe pas dans la législation irlandaise ou en tout cas elle n'était pas applicable à Catherine.

126.   Dans ces conditions, nous le répétons, on ne peut certainement pas reprocher à Catherine ou à sa mère d'avoir légalement utilisé les possibilités et les droits qui leur sont conférés par le droit communautaire.

127.   Du reste, si on acceptait la thèse du Royaume-Uni on pourrait envisager des soupçons d'abus dans presque tous les cas d'acquisition intentionnelle de la nationalité d'un État membre. Ce qui pourrait paradoxalement amener à soumettre la jouissance des droits découlant de la citoyenneté de l'Union à la condition du caractère involontaire de l'acquisition de la nationalité.

128.   Mais cela équivaudrait à «restreindre les effets de l'attribution de la nationalité d'un autre État membre, en exigeant une condition supplémentaire pour la reconnaissance de cette nationalité en vue de l'exercice des libertés fondamentales prévues par le traité». Et cela, comme la Cour l'a déjà expliqué, n'est pas autorisé par le droit communautaire  (38) .

129.   De notre point de vue, donc, la réponse aux questions soumises à la Cour par la juridiction de renvoi ne saurait être influencée par la circonstance que les époux Chen ont fait en sorte que leur fille naisse sur le territoire de l'Irlande du Nord justement afin de lui assurer l'acquisition de la nationalité irlandaise et par là le droit de séjour au Royaume-Uni et dans les autres pays membres de la Communauté.

F –   Sur le droit au respect de la vie familiale

130.   Ayant conclu que le droit communautaire attribue à Catherine le droit de s'établir au Royaume-Uni et à sa mère le droit de résider avec sa fille, nous n'estimons pas nécessaire de nous arrêter sur la question de la compatibilité des mesures nationales avec la CEDH. En effet, l'interprétation du traité qui est proposée ici est parfaitement cohérente, comme on l'a vu, avec les valeurs exprimées à l'article 8 de la CEDH et en particulier, avec l'exigence du respect de l'unité de la vie familiale (voir supra, point 94).

V –  Conclusions

131.   Nous concluons donc en proposant à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par l'Immigration Appellate Authority of Hatton Cross:

«1)
Une mineure en bas âge, citoyenne communautaire, qui est bénéficiaire d'une assurance-maladie apte à couvrir tous les risques dans l'État membre d'accueil et qui, quoique n'étant pas directement bénéficiaire de revenus ou de rentes, a en toute hypothèse à sa disposition par le biais de ses parents des ressources suffisantes pour exclure qu'elle puisse devenir une charge pour les finances de l'État membre d'accueil, satisfait aux conditions posées à l'article 1er de la directive 90/364/CEE du Conseil, du 28 juin 1990, relative au droit de séjour, et jouit donc d'un droit de séjour à durée indéterminée sur le territoire d'un État membre autre que celui dont elle est ressortissante.

2)
La décision par laquelle les autorités d'un État membre rejettent la demande d'un permis de séjour de longue durée présentée par la mère d'une citoyenne communautaire, mineure, titulaire d'un droit de séjour dans cet État membre, outre qu'elle prive d'effet utile le droit reconnu à la mineure par l'article 18 CE et par l'article 1er de la directive 90/364, constitue une discrimination en raison de la nationalité, interdite par l'article 12 CE.»


1
Langue originale: l'italien.


2
JO L 172, p. 14.


3
JO L 180, p. 26.


4
(Omissis). Note valable pour la version italienne des conclusions.


5
Voir, notamment, arrêt du 27 septembre 1988, Matteucci (235/87, Rec. p. 5589), où il s'agissait du droit d'une citoyenne italienne, née et vivant en Belgique, où elle travaillait, à ne pas subir de discrimination en matière d'octroi d'une bourse de perfectionnement. Voir, précédemment, le célèbre arrêt du 28 octobre 1975, Rutili (36/75, Rec. p. 1219), où la Cour a retenu comme pleinement applicable l'article 48 du traité CEE (devenu article 48 du traité CE, lui même devenu, après modification, article 39 CE), à des mesures restreignant la liberté de circulation sur le territoire français d'un travailleur italien qui était né et qui vivait en France, où il travaillait et exerçait une activité syndicale.


6
Arrêt du 2 octobre 2003, (C-148/02, non encore publié au Recueil, point 26).


7
Ibidem, point 27.


8
Pour l'affirmation d'une telle règle, par rapport à l'institution de la protection diplomatique, nous rappelons le très célèbre arrêt de la Cour internationale de justice dans l'affaire Nottebohm (arrêt du 6 avril 1955, Liechtenstein contre Guatemala, deuxième phase, CIJ Recueil 1955, p. 4, en particulier p. 20 et suiv.).


9
Arrêt du 7 juillet 1992 (C-369/90, Rec. p. I-4239).


10
Arrêt du 20 février 2001 (C-192/99, Rec. p. I-1237).


11
Arrêts précités Micheletti, point 10, et Kaur, point 19. Cette constatation, il faut le noter, est parfaitement cohérente avec la jurisprudence de la Cour internationale de justice selon laquelle «[i]l appartient (…) à tout État souverain de régler par sa propre législation l'acquisition de sa nationalité» (arrêt Nottebohm, précité, p. 20).


12
Arrêt Micheletti e.a., précité, point 10; en dernier lieu, voir arrêt Garcia Avello, précité, point 28.


13
La fillette serait en effet «unable to assert a choice of residence in her own right» (incapable de choisir elle-même son pays de résidence).


14
«While a minor, and unable to exercice a choise of residence, Catherine cannot be a ‘national’ for the purposes of Art. 1 (1)» (étant mineure d'âge et incapable de choisir elle-même un pays de residence, Catherine ne peut pas être considérée comme un ‘ressortissant’ au sens de l'article 1er, paragraphe 1).


15
«Capacità giuridica»; «Rechtsfähigkeit»; dans la terminologie juridique anglaise «‘general’ legal personality» (voir A. Heldrich, A.F. Steiner, «Legal Personality», in International Encyclopedia of Comparative Law, vol. IV, Persons and Family, Tübingen, Dordrecht, etc., 1995, Chapter 2, Persons, p. 4).


16
«Handlungsfähigkeit»; «capacità di agire»; dans la terminologie juridique anglaise «capacity» ou «active legal capacity» (voir A. Heldrich, A.F. Steiner, «Capacity», in International Encyclopedia of Comparative Law, vol. IV, précité, p. 9).


17
La jurisprudence communautaire est constante, dans le sens que même le destinataire de services peut invoquer la liberté de prestation des services prévue par le traité [voir, dans ce sens, notamment, arrêts du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 16), et du 2 février 1989, Cowan (186/87, Rec. p. 195, point 15)].


18
Arrêt du 15 mars 1989, Echternach et Moritz (389/87 et 390/87, Rec. p. 723).


19
Arrêt Echternach et Moritz, précité, point 21. En l'espèce, il s'agissait du règlement (CEE) du Conseil n° 1612/68, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2), dont l'article 12 énonce que «[l]es enfants d'un ressortissant d'un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d'un autre État membre sont admis aux cours d'enseignement général, d'apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire. […]».


20
Arrêt du 5 octobre 1988, Steymann (196/87 (Rec. p. 6159, p. 16).


21
Arrêt Steymann, précité, point 17, et arrêt du 17 juin 1997, Sodemare e.a. (C-70/95, Rec. p. I-3395, point 38).


22
«Dispongano […] di risorse sufficienti» dans le texte italien, «disposent […] de ressources suffisantes» dans le texte français, «have sufficient resources» dans celui anglais, «über ausreichende Existenzmittel verfügen» dans celui allemand, «dispongan […] de recursos suficientes» dans celui espagnol (c'est nous qui soulignons).


23
Arrêt du 17 septembre 2002 (C-413/99, Rec. p. I-7091, point 90).


24
Ibidem, point 91. Dans le même sens, voir arrêt du 2 août 1993, Allué e.a., (C‑259/91, C-331/91 et C-332/91, Rec. p. I-4309, point 15).


25
Arrêt du 18 juin 1987, Lebon (316/85, Rec. p. 2811, point 22).


26
Arrêt précité, point 75 (c'est nous qui soulignons). Dans ce cas, il s'agissait d'un parent ressortissant des États-Unis.


27
Dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, voir arrêts du 18 février 1991, Moustaquim/Belgique; du 19 février 1996, Gül/Suisse; du 28 novembre 1996, Ahmut/Pays-Bas; du 11 juillet 2000, Ciliz/Pays-Bas, et du 21 décembre 2000, Sen/Pays-Bas, tous publiés sur le site http://hudoc.echr.coe.int, dans le recueil électronique de ladite jurisprudence.


28
Voir, en particulier, arrêt du 11 juillet 2002, Carpenter, C-60/00 (Rec. p. I-6279, points 41 à 45).


29
Voir, en dernier lieu, arrêt Garcia Avello, précité, point 31.


30
Il faut noter qu'une hypothèse de ce genre est tout à fait réaliste: à cette fin, en effet, il aurait suffi que l'autre parent ait eu la nationalité britannique ou que, tout en étant un ressortissant étranger, il ait eu le droit de résider en permanence au Royaume-Uni (section 1 du British Nationality Act 1981: voir note 8 des observations écrites présentées par le Royaume-Uni à la Cour).


31
Voir, à ce sujet, arrêt du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459, point 24) et l'abondante jurisprudence rappelée par la Cour à cette occasion.


32
Arrêt Centros, précité, point 27, et plus largement les conclusions de l'avocat général La Pergola dans la même affaire (Rec. 1999, p. I-1461 et suiv.).


33
Arrêt du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke (C-110/99, Rec. p. I-11569, point 52). Dans le même sens, voir également arrêt Centros, précité, point 25, et arrêt du 21 novembre 2002, X et Y (C-436/00, Rec. p. I-10829, point 42).


34
Voir la notion d'abus du droit communautaire selon l'arrêt du 27 septembre 2001, Gloszczuk (C-63/99, Rec. p. I-6369, point 75). C'est nous qui soulignons.


35
Voir arrêt Gloszczuk, précité, point 75.


36
Peu importe, au contraire, aux fins de la présente affaire, le fait que le «sol» auquel le jus soli se réfère, c'est-à-dire la ville de Belfast, ne soit pas soumis, en raison de l'histoire bien connue de l'île d'Irlande, à la souveraineté de l'Irlande (Eire) mais du Royaume-Uni. Le problème dont il s'agit serait en effet apparu dans les mêmes termes si la fillette était née sur le territoire de l'Irlande (Eire) et si elle s'était déplacée ensuite à Belfast, ou à Cardiff, avec sa mère.


37
Tout comme, soit dit en passant, il est prévu à l'article 1er et à l'annexe 2 de l'«Agreement between the government of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland and the government of Ireland», conclu à Belfast le 10 avril 1998. L'article 1er, paragraphe vi), prévoit en effet que les deux gouvernements «recognise the birthright of all the people of Northern Ireland to identify themselves and be accepted as Irish or British, or both, as they may so choose, and accordingly confirm that their right to hold both British and Irish citizenship is accepted by both Governments and would not be affected by any future change in the status of Northern Ireland». L'annexe 2, à son tour, précise que, aux fins dudit article 1er, précité, «the people of Northern Ireland» inclut «all persons born in Northern Ireland and having, at the time of their birth, at least one parent who is a British citizen, an Irish citizen or is otherwise entitled to reside in Northern Ireland without any restriction on their period of residence» (c'est nous qui soulignons).


38
Voir arrêts précités Micheletti, point 10; et Kaur, point 19.